1 Un cadre règlementaire en perpétuelle évolution
L’idée de renforcement des réglementations des établissements de crédits n’est pas une idée nouvelle en Tunisie. Depuis la circulaire n°91-24, le cadre réglementaire tunisien n’a cessé de se renforcer et d’adopter de meilleures pratiques. Nous allons vous exposer dans cet article les évolutions des dispositifs règlementaires concernant les établissements financiers et leur impact, notamment sur la gestion du risque crédit, le risque opérationnel, le risque de marché, le risque de liquidité et enfin la solvabilité, qui englobe es trois premiers risques cités. Il faut noter que seuls les derniers chiffres disponibles de 2019 ont pu être utilisés dans le cadre de cet article.
Nous prenons comme point de départ la circulaire n°2006-19, qui a notamment imposé des nouvelles instances internes en matière de gouvernance, d’instauration de systèmes de contrôle interne permanant et périodique afin de faire le suivi et la maitrise de tous les risques encourus auxquels les établissements sont confrontés.
Au niveau de cette circulaire qui est venue modifier et compléter la loi n°2001-65, le contrôle interne a été défini comme étant tous dispositifs, méthodes ou processus appliqués ayant pour but la sécurité et la protection de l’information des établissements de crédits, la conformité des opérations avec les lois et les réglementations en vigueur, la maitrise des risques et l’organisation comptable. Son originalité réside dans le fait qu’elle met en exergue l’importance du rôle que peut jouer la qualité des services des établissements de crédits dans la croissance du secteur, dans l’amélioration de la gestion des différents risques et dans la protection des fonds et des intérêts des utilisateurs des services bancaires.
1.1 Renforcement des règles de bonne gouvernance par l’adoption de la circulaire n°2011-06
Cette circulaire additionnelle est venue enraciner les bonnes pratiques (‘’best practices’’), les règles et la rigueur de la bonne gouvernance des établissements de crédit, et combler le fossé et l’inadéquation entre le dispositif de gouvernance tunisien et les normes internationales.
Les points forts de cette circulaire sont :
- Affermir une gestion vigoureuse et stricte qui assure la continuité et la perpétuité de ces établissements de crédit ;
- Trancher entre les pouvoirs de contrôle et d’exécution ;
- Instaurer un comité d’audit, un comité des risques et un comité de crédit ;
- Consolider et optimiser la gouvernance financière et comptable.
Le secteur a montré une résilience face aux différents risques et une résistance face à une conjoncture économique et sociale post-révolution critique. Les différentes récentes réformes des lois et des circulaires nécessitent encore une amélioration de quelques textes ainsi que leurs vulgarisations afin de combler les vides existants et de moderniser le secteur.
1.2 Renforcement supplémentaire à partir de 2016 des dispositifs en termes de gouvernance, de transparence et de réglementation prudentielle
La loi 2016-48 est venue s’ajouter aux nouvelles lois de renforcement des dispositifs réglementaires des établissements de crédit. La Banque Centrale Tunisienne, la BCT, a publié un document focus sur les 100 mesures phares de cette nouvelle loi adoptée résumées en 12 points clés et 6 axes pour Une meilleure régulation du marché bancaire. Les objectifs de cette loi sont :
- Mettre en place un cadre légal moderne pour soutenir l’économie tout en améliorant la transparence et l’équité concurrentielle,
- La convergence de la législation bancaire tunisienne avec les recommandations des accords de Bâle (I, II et III),
- Renforcement du contrôle micro-prudentiel pour une meilleure protection des déposants,
- Renforcement du rôle de l’autorité de tutelle pour une meilleure gouvernance du marché bancaire,
Durant 2018, l’intention de la vulgarisation des lois et la propagation des différentes réglementations au niveau des établissements de crédits se sont matérialisées par la persistance du travail sur le plan d’action quinquennal 2016-2020 dont le but primordial est la poursuite de la convergence vers les normes et réglementations internationales Bâle III. Ce plan avait comme objectifs :
- L’amélioration de la supervision bancaire et ce, avec l’instauration d’une supervision sur base consolidée ;
- Le développement du système de contrôle interne ;
- Le respect des pratiques de la bonne gouvernance et de la transparence ;
- La révision des exigences en fonds propres en matière de risque de crédits ;
- La stabilisation des indicateurs économiques, monétaires et financiers ;
- Le renforcement des capacités opérationnelles ;
- L’intensification des mesures de liquidité et la lutte conte l’assèchement de cette dernière ;
- L’adoption des normes comptables internationales IFRS à l’horizon de 2021 ; La circulaire n° 2020-01 du 29 janvier 2020 a défini les mesures qui doivent être prises par les banques et les établissements financiers pour conduire le projet d’adoption des normes IFRS. Chaque banque est tenue d’établir et de valider un plan stratégique pour la conduite de ce projet.
Ces réformes innovatrices, étalées sur plusieurs années, évoquent aussi les défis de l’innovation technologique, la nécessité de la digitalisation des établissements financiers et la fintech, ainsi que la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la criminalité financière d’une manière générale (circulaire 2013-15).
Selon le rapport de la BCT en 2019, les risques macro-financiers sont évalués selon une approche qui se base essentiellement sur six facteurs liés aux conditions macroéconomiques, à la rentabilité, à l’évolution excessive du crédit, à la résilience et à la liquidité du secteur bancaire et enfin, à la qualité du portefeuille du crédit. Les facteurs relatifs aux conditions macroéconomiques et à la qualité du portefeuille du crédit ont accusé une légère détérioration, alors que les quatre autres facteurs ont connu une amélioration pour l’année 2019.
La rentabilité a enregistré une amélioration en 2019 à la suite d’une augmentation du produit net bancaire de 13.2% contre une hausse moyenne de l’ordre de 18% sur la période 2016-2018. Cette hausse s’explique, en grande partie par la croissance de la marge d’intérêt de 21.5% et de 10.5% pour les commissions et un léger recul des produits de placements et gains nets de change de 0.3%. Le relèvement des taux directeur par la BCT en 2019 a augmenté sensiblement la marge d’intérêt, mais a aussi engendré une augmentation des coûts des ressources du secteur.
Tableau 1 : l’essentiel de l’article 10 de la circulaire n°2018-06
2 Vers une amélioration de la gestion des risques
2.1 Évolutions réglementaires en matière de risque de crédit
L’année 2018 représente l’année de début de la décélération de l’activité des crédits. Un dispositif de freinage d’octroi et de croissance des crédits est mis en place et s’est manifesté par :
- Les resserrements de la politique monétaire en termes d’octroi des crédits aux particuliers ;
- L’établissement d’un plafond égal à 120% du ratio de transformation ‘’Crédits/Dépôts’’ ;
- L’exigence d’une sélection plus pointue des clients en termes de risque et d’éligibilité au refinancement lors d’octroi des crédits.
Tous renforcements et évolution au niveau du risque de crédit sont élaborés et améliorés à partir de la circulaire aux banques n°91-24 dont l’objet était la ‘Division, couverture des risques et suivi des engagements’. Les dispositions de cette circulaire peuvent être regroupées en deux points clés:
- Définir les règles qui doivent être prises par les banques en raison de division, couverture des risques et de classifications des actifs ;
- Définir les règles qui doivent être considérées pour la constitution des provisions.
Au niveau de cette circulaire, il a été imposé aux banques de classer leurs actifs quelques soit leurs formes, qu’ils soient figurant au bilan ou en hors bilan et qu’ils soient libellés en dinars ou en devises. Les banques doivent classer les totalités de leurs actifs en deux catégories :
- Les actifs courants dont la réalisation ou le recouvrement intégral dans les délais parait assuré et qui sont détenus sur des entreprises dont la situation financière est jugée satisfaisante ;
- Les actifs "classés" en fonction de la probabilité de remboursement et eu égard à la situation financière du débiteur
A ce titre, quatre classes d’actifs sont proposées dont leur constitution de provisions est la suivante :
- Des provisions de 0% pour la classe 1 composée d’actifs nécessitant un suivi particulier ;
- Des provisions au moins égales à 20% pour la classe 2 composée d’actifs incertains ;
- Des provisions de 50% pour la classe 3 composée d’actifs préoccupants, et
- 100% pour la classe 4 composée d’actifs compromis.
Ces différents seuils de provisions sont imposés à tout actif classé égal ou dépassant la valeur de 50 milles dinars.
La circulaire n°2013-21 a introduit des améliorations par rapport à la 91-24 en matière de couverture de risque net des actifs de la classe 4 et a proposé des quotités nouvelles pour les actifs ayant une ancienneté de 3 ans ou plus dans cette classe, plus précisément :
- Des provisions de 40% pour les actifs d’ancienneté de 3 à 5 ans ;
- Des provisions de 70% pour les actifs d’ancienneté de 6 à 7 ans ;
- Des provisions de 100% pour les actifs d’ancienneté de 8 ans et plus ;
Afin de maitriser le risque de crédit, la circulaire 2016-06 a mis en place un système de notation interne (SNI) qui doit être appliqué par tous les établissements de crédits. Cette circulaire est adoptée vu l’importance des créances classées depuis plusieurs années et vu leurs poids sur les provisions des différents établissements de crédits. Ce cadre réglementaire va pousser les institutions à implémenter un système de notation des contreparties pour traduire la gestion de risque de crédit en amont et en aval et ce en présentant une feuille de route de la gestion d’octroi et du recouvrement ainsi que de mettre en relief les différents autres paramètres en particulier la probabilité de défaut. L’introduction d’un système de notation interne nécessite une révision permanente des modèles, des moyens et des ressources utilisées pour s’assurer d’une bonne maitrise de la politique du risque et par la suite une meilleure gestion interne.
Dans le même ordre d’idées, la circulaire n° 2018-06 est venue pour renforcer et compléter la circulaire 91-24 en matière de division et de couverture de risque. L’originalité dans cette circulaire réside dans l’introduction des nouveautés concernant la couverture du risque de contreparties sur les instruments dérivés (au niveau de la circulaire n° 2016-01 couverture contre les risques de change et de taux d'intérêt était prévue). Des pondérations allant de 0.5% jusqu’à 3% sont imposées et doivent être multipliées par le montant notionnel du contrat de l’instrument pour déterminer la valeur exposée au risque de ces instruments.
Selon le dernier rapport de la BCT, La qualité des actifs bancaires a connu une légère dégradation en 2019. En effet, la part des crédits non performants dans le total des engagements a légèrement augmenté pour atteindre 13.3% (13.2% en 2018) de l’ensemble des crédits, alors que le taux de couverture des créances classées a enregistré une augmentation de 2% (56% en 2018 et 58% en 2019). La progression de la croissance du crédit a connu une nette décélération avec une croissance des crédits aux particuliers de 0.4% en 2019 contre une augmentation de 5.5% en 2018, alors que les crédits aux professionnels ont connu une croissance de 4.7% en 2019 contre une hausse de 10.2% en 2018. Ceci s’explique par la baisse de la demande de crédits d’investissement, le resserrement de la politique monétaire et le plafonnement du ratio de transformation. L’exposition des banques aux entreprises publiques a augmenté de 23% avec une augmentation sensible des engagements envers l’administration publique. La rationalisation de l’activité de crédits pourrait occulter les risques potentiels d’un tarissement du crédit.
2.2 Évolutions réglementaires en matière de risque opérationnel
Sur la ligne de son plan d’action, la BCT travaille toujours dans une optique de maitrise de risque et de renforcement de la supervision bancaire avec la modernisation et le développement des règles de gouvernance et du système de prédiction préalable de toutes sortes de risques (stratégiques, juridiques, réputation etc.). Voici ce qu’il faut principalement retenir dans le cadre du plan de continuité :
- Au niveau de la circulaire 2018-06 les fonds propres exigés (EFP) relatifs au risque opérationnel sont toujours à l’ordre de 15% de la moyenne du produit net bancaire sur les 3 derniers exercices (tel qu’exigé au niveau de la circulaire 2016-03).
- La BCT a continué aussi en 2018 à travailler avec le reporting ‘TUNREP’ promulgué par la circulaire n°2017-06 du 31 Juillet 2017 pour assurer la fiabilité de l’exploitation des données.
- La BCT a instauré un deuxième projet de revue des indicateurs de la supervision bancaire qui prend en considération les exigences et les réglementations Bâloises.
- La BCT veille sur l’enracinement des règles de la bonne gouvernance et du contrôle interne ainsi que le renforcement de la transparence transactionnelle et l’équité concurrentielle apportés par la circulaire 2006-19.
Ces projets servent à améliorer le processus de surveillance et ainsi la qualité de la supervision bancaire en convergeant vers les normes Bâle III.
En vue du renforcement du niveau sécuritaire des établissements de crédits, la circulaire 2018-09 du 18 octobre 2018 a apporté des modifications par rapport à la circulaire 2017-08 du 19 septembre 2017 et la loi 2016-48 en matière des règles de contrôle interne pour la gestion du risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme et ce en mettant en place un dispositif (LBA/FT). Le but est de garantir la meilleure traçabilité des flux, d’obstruer le blanchiment des capitaux et de protéger les consommateurs bancaires et non bancaires. Dans le cadre de ce dispositif, différentes règles d’identifications des clients, de contrôle interne et de digitalisation des services financiers ont été introduites.
Selon le dernier rapport de la BCT (2019), la structure chargée du management des risques opérationnels est en cours d’adoption d’un cadre propice à l’exercice du management des risques dans la banque conforme aux standards internationaux et devra proposer les textes réglementaires régissant le dispositif de management des risques opérationnels au courant de l’année 2020. Elle a élaboré quatre rapports concernant les incidents subis par la banque en termes de risques opérationnels, durant l’exercice 2019, et a entamé l’élaboration de la cartographie des risques, en termes de fréquence et de sévérité, des succursales de la banque comme domaine pilote.
2.3 Évolutions réglementaires en matière de risque de marché
En 2018, l’une des préoccupations majeures de la BCT a été l’élargissement de la couverture du risque de marché et ce, en imposant des dotations supplémentaires pour ce faire. La circulaire n°2018-06 précise que :
- Le risque sur titres de créance ou risque de taux d’intérêt ;
- Le risque de variation de prix sur titres de propriété ;
- Le risque de change ;
- Le risque de règlement/livraison, qu'il provienne du portefeuille de négociation ou du portefeuille bancaire ;
Doivent être couverts par les fonds propres au titre des risques de marché. Il est a noté aussi que les établissements assujettis sont soumis à des dispositions bien précises lorsque la valeur comptable de leurs portefeuilles de négociations dépasse certains seuils.
Les exigences de fonds propres au titre du risque de taux d'intérêt visent à circonscrire la consommation et par la suite mitiger les effets de l'inflation et alléger ses répercussions, freiner le recours au financement, fixer des taux d’intérêt réels afin d’inciter l’épargne et arranger l’allocation des ressources.
Pour les exigences de fonds propres au titre du risque de taux de change, La circulaire 2018-06 impose qu’au moment où la position nette globale en devises couvrant l’ensemble des éléments du bilan et hors bilan dépasse 2% des fonds propres nets le taux de change doit être couvert par les fonds propres. Des efforts exceptionnels et incontestables sont fournis pour stabiliser le dinar et contrôler l’inflation.
Pour les exigences de fonds propres au titre du risque sur titres de propriétés, la BCT a obligé les banques à clarifier leurs politiques et leurs orientations de placement en bons du Trésor et de préciser les titres détenus sur le court terme. D’autant plus, elle leurs impose passer à la valorisation de leurs portefeuilles selon la méthode ‘Mark to Market’. Ces mesures vont donner fruits sur les comptes à moyen terme.
2.4 Évolutions réglementaires en matière de risque de liquidité
La circulaire 2014-14 a imposé aux banques de respecter en permanence un ratio de liquidité à court terme, (Liquidity Coverage Ratio, LCR) calculé par le rapport entre l’encours des actifs liquides et le total des sorties nettes de trésorerie durant les 30 jours calendaires suivants. Sont pris en compte pour le calcul de ce ratio seulement les actifs, les passifs et les engagements hors bilan en dinars. Ce ratio vise à permettre aux banques de résister à des crises de liquidité aiguës (à la fois systémiques et spécifiques à la banque) sur une durée d'un mois.
L’année 2018 a été connue comme l’année de pression sur les banques en termes de liquidité. L’objectif ultime des établissements de crédits était de faire face à tout moment à leurs exigibilités. Le resserrement s’est traduit par :
- L’amélioration et l’augmentation graduel du ratio de liquidité à court terme (Liquidity Coverage Ratio, LCR) imposé par la circulaire n° 2014-14) allant de 60% en 2015, à 80% en 2017, 90% en 2018 et à 100% à partir de 2019,
- L’établissement du ratio de transformation ‘’Crédits/Dépôts’’ comme décrit au niveau de la circulaire n°2018-10.
Ces deux mesures serviront à l’application du ratio de liquidité à long terme, le « Net Stable Funding Ratio, NSFR » de Bâle III. L’objectif de ce ratio est que le montant en financement stable disponible soit supérieur au montant de financement stable exigé afin que l’établissement puisse exercer ses activités durant un an dans un contexte de tensions prolongées. Les banques vont se préparer graduellement à l’adaptation de ce ratio. Son instauration est encore en phase de préparation et elle se réalisera d’une façon progressive. Ce ratio obligera, entre autres, les banques à chercher et à financer leurs activités avec des ressources plus riches et plus stables.
Tableau 2 : Objectifs des mesures de renforcement mises en place en 2018
Selon le dernier rapport de la BCT, l’année 2019 a connu une atténuation du risque de liquidité avec un apaisement des tensions sur la liquidité à la suite de l’adoption de mesures de politiques monétaires et macro prudentielles restrictives dont l’objectif est de réduire la demande de liquidité auprès de la BCT. Ceci s’est traduit par une baisse record du volume global de refinancement enregistré au cours d’une même année de 32.2%. La part du refinancement auprès de la BCT dans le total des ressources en dinars des banques a diminué de 13.9% en 2018 à 8.7% en 2019. Après une tendance baissière enregistré durant les neuf dernières années, la part des dépôts a augmenté de près de 2 % en 2019. Le net ralentissement de l’octroi de crédit et la légère intensification des efforts de collecte de dépôts ont permis une sensible amélioration du ratio prudentiel de transformation « crédits/dépôts » qui a diminué de 131% en 2018 à 120% (niveau requis) en 2019. Les banques ont adopté une gestion rigoureuse (restrictive) des risques financiers et ont réduit sensiblement l’acticité de financement des agents économiques (particuliers et entreprises). Le rapport de la BCT en 2019, signale à chaque fois que la situation dissimule des disparités entre les banques.
2.5 Évolutions réglementaires en matière de solvabilité
En matière de solvabilité, les changements règlementaires les plus marquants durant l’année 2018 sont : les exigences en fonds propres pour couvrir le risque opérationnel, la mise en place du système de notation interne (Approche IRB, Internal Rating Based) pour le risque de crédit ainsi que la prise en considération du risque de marché dans le calcul du ratio cible (ratio Mac Denough). Par ailleurs, Il faut noter que certains dispositifs en matière de solvabilité sont restés les mêmes, notamment :
- Le maintien d’un niveau minimum de ratio de solvabilité (le rapport entre les fonds propres nets et les actifs pondérés par les risques) de 10% depuis 2014 (9% en 2013),
- La définition d’un ratio de Tier I (le rapport entre les fonds propres de base, core tier 1, et les actifs pondérés par les risques) de 7% au moins ;
Sur un autre plan, concernant les banques islamiques, la loi n°2016-48 stipule que pour le calcul de leurs ratios de solvabilité, celles-ci doivent respecter une formule spécifique. Encore plus, elles sont tenues à constituer une réserve de lissage de profit (Profit Equalization Reserve-PER) et une réserve pour le risque d’investissement (Investment Risk Reserve-IRR).
2.5.1 Consolidation générale de la solvabilité du secteur bancaire
Selon le dernier rapport de la BCT, l’année 2019 a été marquée par une consolidation de la résilience du secteur financier et par une meilleure maitrise des risques macro-financiers. En absence d’informations fiables sur le ratio core tier 1 (composé uniquement des fonds propres de base et de bonne qualité), la plupart des analyses (voir celle de Tunisie Valeurs parue en novembre 2020), se limitent à analyser le ratio tier 2 (composé d’éléments de moins bonnes qualités dont les dettes subordonnées) et le ratio de levier qui constitue une mesure non pondérée par les risques des actifs de la solvabilité bancaire. Ce dernier fournit une appréciation supplémentaire sur le niveau d’adéquation des fonds propres nets aux emplois d’une banque. Selon cette étude, le secteur bancaire a affiché une consolidation générale de sa solvabilité, avec une amélioration au sens du ratio tier 2. La disparité entre les banques cotées a varié entre 10,2% et 18.2% en 2019 pour le ratio de solvabilité globale au sens su ratio tier 2. Cette consolidation est confirmée par le ratio de levier financier qui a globalement augmenté, pour l’exercice de 2019, avec une moyenne de 7.7% pour le secteur bancaire coté. Hormis, l’une des banques privées, ce ratio a varié entre 5.9% et 11.1% pour les banques cotées.
3 Conclusion
Pour conclure, il est a noté que pratiquement toutes les exigences et les dispositions prudentielles pour l’ensemble des risques des établissements de crédits sont inspirées des circulaires n°91-24, 2006-19 et 2018-06. La circulaire n°2016-03, plus stricte, est venue introduire et renforcer les exigences en fonds propre au titre des différents risques. Le but ultime était d’assurer une meilleure convergence vers les normes du cadre Bâlois.
Sur la même route, depuis l’année 2018, la BCT a travaillé sur l’évolution de la supervision bancaire en mettant en place différents dispositifs réglementaires, prudentiels et opérationnels. L’idée est de continuer le renforcement du secteur bancaire en s’alignant au maximum sur les pratiques internationales instaurées depuis 2006 en Tunisie au niveau de la circulaire 2006-19 (Bâle 2) et améliorés à partir de 2014 pour la liquidité et 2016 pour la solvabilité (Bâle 3).
Nous pouvons retenir que les différents points réglementaires relatifs aux établissements financiers qui ont été exposés ont les objectifs communs suivants :
- Appuyer la sureté du secteur bancaire, au niveau national et international ;
- Inciter les banques à s’autoévaluer et à devenir indépendantes du refinancement de la BCT ;
- Lutter contre l’inflation et stabiliser le dinar, et
- Renforcer la capacité de résilience aux chocs externes.
Au niveau du respect des nouveaux diapositifs, la BCT a enregistré un nombre d’établissements de crédits qui n’ont pas respecté les normes prudentielles exigés vers la fin de 2018. Des amendes ont été imposées pour tout non-respect, toutes non-adéquation et toutes infractions des exigences imposées. Une grille de sanctions pécuniaire a été mise en place conforme à celle proposée par la circulaire n°91-24 mais la clause qui stipule que l’amende serait doublée dans le cas de non-respect a été éliminée.
Selon le dernier rapport de supervision bancaire, paru en 2020, la BCT a assuré, durant l’année 2018, 24 missions de contrôle dont 16 missions ponctuelles et 8 missions thématiques. Les actes de surveillance ont touché plusieurs aspects, tel que le gel des avoirs des terroriste, le contrôle de la démarche de restructuration des banques publiques, l’évaluation de l’application du dispositif Lutte et anti-Blanchissement d’Argent (LBA)/Financement du Terrorisme (FT) etc. La supervision sur place a relevé 12 notifications d’insuffisance ainsi qu’un total d’amendes de 5.4MD pour 21 banques et établissements financiers et un avertissement.
Des réglementations montrent une résistance exceptionnelle face à une situation économique difficile et une conjoncture post-révolution fragile. Cette résistance n’a pas pu cacher l’existence des facteurs en dehors du terrain d’action de la BCT, tel que la masse salariale importante et l’évolution naïve de la production dans la plupart des secteurs.
3.1 Perspectives pour l’année 2020 et la nécessité d’assurer la résilience du secteur bancaire
Le PNB pour toute l’année 2020 devrait connaitre un repli qui pourra avoisiner les 5%. Ce net repli peut s’expliquer par :
- Les mesures relatives à la tarification et à la continuité de certains services bancaires (circulaire n° 2020-05, mars 2020).
- Les financements exceptionnels de soutien des entreprises et des professionnels pour faire face aux retombées de la pandémie Coronavirus COVID-19 (circulaires N °2020-19, novembre, 2020-12, mai, 2020-06 mars…).
- L’effet prix de la baisse du taux directeur de la BCT en mars 2020 sur la marge d’intérêt.
Les mécanismes de relance de l’économie mise en place par le gouvernement, l’assouplissement de la politique de refinancement de la BCT conjugués à un relâchement du ratio de transformation et d’autres mesures liées à la réglementation prudentielle auront pu soutenir les réalisations de la production de l’activité de crédit durant l’année 2020. La qualité des portefeuilles devrait se dégrader pour toute l’année 2020 avec une hausse sensible du coût du risque, estimée à 24% par les études et recherche de Tunisie valeurs, par suite des effets néfastes de la pandémie. Les banques les plus touchées seront celles exposées aux secteurs les plus vulnérables à la crise (tourisme, transport, immobilier et BTP). Ces différents facteurs conjugués à une augmentation suite des frais généraux engagés par le secteur pour subvenir aux besoins de l’état et ses différentes structures pour lutter contre la pandémie vont altérer sensiblement la masse bénéficiaire agrégée et le rendement des capitaux propres (Return On Equity, ROE) du secteur.
Plusieurs nouvelles mesures doivent être introduites dans le contexte local pour être au diapason des standards internationaux et assurer une meilleure résilience du secteur bancaire :
- Assurer un rôle actif de la tutelle dans l’évaluation des différentes méthodes d’évaluation des risques bâlois (pilier 2).
- L’adoption et la révision des exigences de communication financière au titre du pilier 3 pour assurer une meilleure transparence financière avec les publications annuelles des rapports risques de chaque établissement financier.
- Une régulation plus contraignante pour les établissements systémiques, qui doivent être définis en conformité avec les standards internationaux.
- Revoir de plus près les disparités entre les banques pour les différents indicateurs.
- L’introduction des différentes mesures proposées par le comité de Bâle pour la finalisation de l’accord de Bâle 3 en décembre 2017 (niveaux planchers de fonds propres (« output floors »), les actifs pondérés par les risques, les modèles internes de notation de crédit, l’approche unifiée de mesure du risque opérationnel, la mesure technique des « Credit Value Adjustements », capacité totale d’absorption de la perte etc.
- L’introduction des stress tests micro-prudentiels et macro-prudentiels.
- La prise en considération de la résilience liée à la cyber-sécurité et la résilience opérationnelle (Digital operational resilience Act et les pratiques saines proposées par le comité de Bâle en décembre 2018 et Août 2020).
Références :
- Circulaires et Lois Banque Centrale de Tunisie (BCT)
- Rapport BCT 2019
- Rapports supervision bancaire 2018 (paru en 2020)
Les circulaires et les rapports de supervision de la BCT mentionnés sont disponibles via ce lien
- Revue de recherches Tunisie valeurs, novembre 2020: l’article est accessible via ce lien